Comment avait-il échoué encore ici ? Dans ce bar ? Cela devenait une mauvaise habitude. Il avait cru pourtant avoir réglé le problème. Il y a des mois de ça. Quand il avait ramené une bouteille à l’église et que Gidéon avait apparu tout d’un coup. La bouteille lui avait échappé et s’était éclatée au sol. Le fantôme lui avait fait un sermon pas possible. Après ça, il avait repris ses esprits. Il avait une mère à charge, qui avait besoin de lui, il avait un projet à achever, une église à réparer, il devait trouver de l’argent pour achever ses travaux et en plus de ça, si les jeunes du foyer apprenaient ce à quoi il occupait ses soirées, ils écouteraient moins aisément ses conseils. Il s’était donc repris, avait arrêté d’aller au bar, avait vidé les bouteilles dans l’évier et c’était plongé dans le travail. Trois mois plus tard, alors que la tempête approchait et que son instinct de médium lui jurait que quelque chose clochait, il sentait sa volonté vaciller. Il avait trouvé comment protéger sa mère, il irait au foyer durant la tempête mais il devait protéger l’église avant. Alors il enchaînait les journées de travail et finissait épuisé. Parfois, l’alcool l’aidait à dormir plus vite, à effacer l’angoisse qui le tenaillait, qui simplifiait tout. Juste une bière disait-il. Juste quelques instants au bar. Il s’était même figuré qu’il pourrait poser ses mains sur le bar et quelques clients pour vérifier ce que son instinct lui chuchotait. Mauvaise idée. Les visions avaient afflues et avec son état nerveux, son état de fatigue, elles l’avaient submergé et il s’y était perdu. L’alcool avait encore servi de refuge. Alcool qu’il ne tenait pas, surtout pas après une journée à avoir été chercher d’immenses planches pour couvrir les vitraux et les protéger des vents violents.

C’est ainsi qu’il finit par s’échouer sur le comptoir, à raconter des histoires remontant à quelques mois, quelques années, guidé par les visions, à un barman qui n’osait pas le rabrouer parce qu’il n’avait pas encore payé sa note. Aussi parce qu’il s’était viandé méchamment, quelques instants auparavant, glissant sur une bière renversée au sol, en allant aux toilettes. Il s’était entaillé l’arcade sourcilière et du sang dégoulinait le long de sa tempe et s’étalait ensuite sur sa joue. Il avait aussi tacheté sa chemise. Noire alors ça passait plus ou moins inaperçue. Il sentait la bière et le sang, un joyeux mélange d’odeur qui échappait à la plupart des humains mais n’échapperait pas à un métamorphe. Or, justement, il y en avait un qui rôdait. Enfin rôdait. Il était habitué aux lieux, c’était lui qui avait emmené Théo ici la toute première fois, après une longue journée à bosser au foyer, ils avaient échoué là, à partager une bière. Théo avait rendu celle-ci une heure après, à l’époque, il buvait carrément pas du tout. Hanto lui avait tenu les cheveux en se moquant gentiment de lui. Etrangement, cette soirée là avait scellé leur amitié. Théo appréciait l’aura de Hanto, il se sentait en sécurité auprès de lui, comme un grand frère. Et puis, tous deux avaient à coeur d’aider les jeunes, ensemble, ils aboutissaient à de brillantes idées. Comme ce projet de fabriquer un poulailler et de s’en occuper. Théo avait fini bien sûr avec plein d’écharde dans les doigts et manqué de se planter un clou dans la main. Incident qui avait fini par le pousser à avouer ses facultés. De fil en aiguille, l’amitié avait grandi entre eux. Aussi quand il le vit, Théo lui tomba littéralement dans les bras, ivre mort. « Hanto, mon ami, j’suis telleeeement content de te voir ! »