J’ai une chance incroyable ponctuée de frayeurs incontrôlables mais qui m’aident aussi à avancer. Je ne pensais pas que le monde réel me terrifierait autant. j’ai l’impression, ici, d’être encore l’enfant de 7 ans disparu et qui n’a pas grandit. J’ai été coupé des interactions sociales durant la moitié de ma vie. Avec ma soeur d’un an ma benjamine, nous n’arrivions pas à nous faire à l’idée de lâcher prise. Au début, elle pleurait beaucoup, demandant maman et papa. Mais avec le temps, ses larmes se sont taries et ont laissé place à la colère et à la peur. celle de ne jamais sortir de cette cave. Nous avions bien droit à l’école et aux livres. Surtout qu’il y avait des visites d’assistantes sociales. Mais toujours contrôlé. Nous avions une menace constante sur la tête. Celle que l’autre soit tué. Et lorsque l’on est enfant et que l’on nous menace, sachant que les gens nous ont déjà volés à notre famille c’est le genre de chose que l’on croit sur parole et pour laquelle on se pense sans défense. La cave a donc souvent été notre amie. L’avantage pour moi, dans ce lieu, c’était l’humidité. Elle rendait malade ma soeur, mage de feu, mais me permettait de m’entraîner et lorsque j’ai eu suffisamment de maîtrise, j’arrivais à sécher les lieux pour ma soeur. Bref, nous nous sommes entraidés durant de longues années et nous avons dévorés des livres entiers. Mais des encyclopédies. Nous n’avions pas le droit aux romans. Maintenant je comprends pourquoi. Cela aurait pu nous donner des idées pour fuir et les dénoncer, nous donner l’espoir d’une vie meilleure.

Vie que je possède désormais et que je dois apprendre à apprivoiser. J’avais une guitare aussi dans cette cave, rare cadeau, trouvé au hasard de nos explorations. Elle avait été sûrement abandonnée là et au final, on me l’avait laissé. Surement pour nous amadouer un petit peu. Après tout, la musique ne fait pas de mal lorsqu’il n’y a pas de paroles extérieures. Je dois donc tout redécouvrir. J’ai commencé à le faire pendant mes trois ans de cavales. Surtout faire ma culture musicale en chipant, caché, de quoi en écouter.

C’est ainsi, grâce à Ezechiel qui m’a sauvé de la noyade et à Quinn qui m’a pris sous son aile, que je peux être ici, au bord de ce lac, avec une guitare et des partitions offerts par Quinn et que j’apprends de nouveaux morceaux, dans le calme de la nature. Enfin ça, c’est ce que je pensais jusqu’à ce que j’entende des bruits derrière moi. Je ne sais pas d’où ils viennent mais tout me paraît calme sauf ces couinements. Je pose ma guitare et prépare une boule d’eau grâce à ma magie, prêt à me défendre. Mon coeur bat la chamade, la peur fait désormais partie intégrante de moi mais je ne la supporte toujours pas. Elle me donne la nausée et me donne une envie folle de courir. Mais je me suis fait une promesse ainsi qu’à ma défunte soeur, celle de ne plus courir, de ne plus fuir et d’affronter. Je me redresse alors, prêt à me battre s’il le faut.

Le temps passe et je découvre de plus en plus de choses mais gérer mes émotions reste quelque chose d’assez compliqué. pourtant, j’aimerais être capable de bien plus mais je crois que j’ai trop de choses à découvrir et à comprendre. Je suis heureux, cela dit, car je suis entouré de très belles personnes, vibrantes, chaleureuses, protectrices, aimantes. Ca ne m’empêche pas d’avoir peur de tout et de n’importe quoi comme le bruit qui est soudain apparu dans mon dos. Naturellement, donc, je me prépare à balancer une boule d’eau, c’est pas très violent mais ça pourrait me permettre de déguerpir, au cas où quand c’est une loutre qui apparaît devant moi et se transforme en femme. Une femme qui me réprimande ! Quoi? J’en reviens pas et ma bouche s’ouvre comme si j’étais complètement demeuré. Je pose la boule d’eau comme elle me le demande et vais pour protester mais aucun son ne sort de ma bouche. Au lieu de ça je me retourne à moitié pour pas la perdre de vue mais pour ne pas avoir le regard rivé sur sa nudité. C’est étrange quand même. J’ai envie de tout regarder.

Je hausse les épaules quand elle s’excuse parce que je ne sais pas vraiment si elle s’excuse de m’avoir littéralement agressée verbalement alors qu’elle m’a juste fait peur et que je n’ai même pas envoyé ma boule d’eau sur elle, ou bien parce qu’elle est nue. Mais quand du coin de l’oeil je vois qu’elle est de nouveau couverte par du tissu, je me retourne et secoue négativement la tête pour lui dire que non je ne voulais surtout pas faire de mal à qui que ce soit. Elle était magnifique cette loutre en plus . Je mime alors le fait d’avoir peur, parce que j’ai peur de tout et j’espère qu’elle comprendra que ce n’était que ça. Je ne suis pass encore bien rassuré parce que je ne connais pas cette femme et je ne sais pas de quoi elle est capable mais visiblement, on a en commun un attrait pour l’eau, d’une manière ou d’une autre.

Je tends alors la main pour la saluer et lui montrer que je ne lui veux pas de mal mais je ne dis rien, toujours ce silence qui me fige mais qui me protège ou me donne, au moins l’illusion de l’être. Puis, avec l’eau que je voulais utiliser pour ma boule, je dessine la loutre entre nous deux et ma main qui la caresse le tout avec un grand sourire. J’espère qu’elle comprendra et qu’elle ne sera pas trop déçue d’être tombée sur le type qui parle le moins dans les alentours. Mais je ne me sens jamais, avec les inconnus de faire le premier pas. Même avec Lupe, alors qu’elle me posait des questions familiales, cela a été très compliqué. Parlé était plus pratique, mais chaque mot me paraissait être l’ascension du Kilimanjaro ! J’avais tellement peur que ça dérape et que je lui fasse du mal. Bref, en face de cette sorcière, je peux le voir, je fais enfin une petite révérence pour m’excuser et lui montrer le respect que je lui porte.

Comme toujours j’ai paniqué mais j’ai réussi à me maîtriser et pour ça je suis fier de moi. Même si, voir cette femme complètement nue me surprend. Je ne suis pas gêné car pour moi un corps est un corps et j’ai lu pas mal de livres sur l’anatomie, mais je ne m’attendais pas à ce qu’une loutre se transforme en femme et que cette femme me houspille comme un enfant qui aurait fait une grosse bêtise. Alors, je tente de me détendre un peu plus et de lui parler, de m’excuser, de m’expliquer, mais rien ne sort. Ah. Bon. Ca arrive, quand j’ai trop peur de parler et que les choses ne se retournent contre moi. Alors, au lieu de ça, j’use du même subterfuge. Ma magie. Elle m’aide à matérialiser des concepts qui m’aident à faire comprendre ce que je veux communiquer. En revanche, ici, en plus de saluer la jeune femme loutre, je veux lui faire comprendre que je ne voulais pas du tout de mal à son animal. Au contraire. C’est plutôt fascinant comme transformation.Mais vu la vitesse, elle n’est pas garou. Et puis il n’y a pas de pleine lune non plus ! Alors peut être est-ce une chamane? Ce que son aura pourrait confirmer vu la beauté du bleu qui la strie.

Je secoue négativement la tête pour répondre à sa question. Non, je ne lui voulais pas de mal. Elle s’appelle Ophélia et moi…” Hayden.” je réponds la voix totalement cassée. J’ai remarqué qu’elle usait un peu du langage des signes mais je ne sais pas si je pourrais tout signer, je n’ai plus l’habitude et j’ai oublié pas mal de mots. Peut être au fond, que nous n’en avons pas besoin, si? Je la vois regarder mes affaires et elle me parle de curiosité, je pense comprendre, alors, qu’elle parle de la guitare. Je prends alors l’instrument et lui montre pour être sur que c’est ce sont elle parle quand elle évoque la curiosité.

Quand elle me tend la menthe, je la regarde durant un long moment avant d’accepter et de mâchouiller la feuille en silence tout en jaugeant Ophélia donc. Elle et moi sommes de la même race et pourtant j’ai l’impression d’être proche d’elle. Elle est un animal aussi. J’adore les animaux, je me sens bien à leur contact. Je m’asseoie face à la jeune femme et je l’écoute. De la famille?  Je hausse d’abord les épaules puis je dis “Oui, une demie soeur.” Je ne sais pas si j’ai le droit de lui poser des questions alors pour ne pas me sentir stupide à ne rien faire, je prends ma guitare et la pose sur mes genoux et je la gratte dans le vide pour ne pas faire de son. “Garou” j’ajoute sans réellement savoir pourquoi et un peu de manière catapultée après un long moment de silence. J’observe alors le lac avec envie. J’aimerais me baigner mais pour le coup je n’ai rien pris pour. J’aime l’eau, c’est mon élément, ma bulle, mais je ne sais pas nager, quel paradoxe, non?